Impact et sens

À quoi ressemble le désengagement ? — Histoire vécue


Sidonie a 32 ans, et déjà 10 ans d’expérience dans son métier. Elle évolue dans la communication, une filière qui a énormément évolué au gré des innovations technologiques et numériques. De nature passionnée, elle s’est un jour heurtée à un mal étrange, qu’elle a mis du temps à pouvoir nommer : le désengagement. Elle témoigne.


Je suis quelqu’un de passionné dans le travail. Je travaille vite, et bien. De nature créative, j’ai des centaines d’idées à la journée, que j’aime proposer et challenger dans les réunions.


Mais il y a eu un moment dans ma carrière où j’ai bien cru devoir mettre ces quelques phrases au passé pour me décrire. Car il y a quelques temps, j’ai connu le désengagement au travail… Un mal contre lequel je me pensais immunisée, moi, investie et engagée par excellence.


1/ Les prémices du désengagement

Je ne saurais pas forcément dire s’il y a eu un déclic dans mon désengagement. Je sais que je suis passée en quelques mois d’une personne à 200% dans son travail, à une personne qui tourne à moins 8000. Ça a été progressif et j’ai eu beau me débattre, je n’ai rien pu faire pour enrayer le système et redevenir celle que j’aimais bien être.


Il n’y a pas eu de moment clé, d’épiphanie du quiet quitting, mais il y a clairement des éléments qui, mis bout à bout, ont eu mon enthousiasme à l’usure.

2/ Le terreau du désengagement : ennui, répétitivité, perte de sens

Lorsque j’avais postulé, j’avais cru rejoindre une équipe dynamique et une entreprise à l’ADN identique à la mienne : joviale, fonceuse et créative. J’ai cru aux heures de brainstorming, aux projets menés de front, aux journées qu’on ne voit pas passer tant il y a à faire, et tant on aime ce qu’on fait.


Cela faisait quelques mois que j’étais dans l’entreprise et que je me voyais confier des petites tâches que je trouvais abrutissantes. Je mettais ça sur le compte de ma fraîcheur dans l’entreprise, qu’il fallait probablement attendre d’être suffisamment formée pour me voir confier des missions de plus grande ampleur. Après quelques conversations pour essayer de changer les choses, il a bien fallu que je me rende à l’évidence : ces tâches représentaient une très large partie de mon poste. Il fallait les faire, et c’était mon job. J’avais postulé sans m’en rendre compte à un job de profil junior, alors que j’avais déjà dix ans d’expérience. Et j’étais dans une entreprise à trop petit effectif pour pouvoir faire évoluer mes missions rapidement.


J’avais de bonnes idées, et j’avais la chance d’avoir des supérieurs qui me faisaient confiance et m’autorisaient à tenter de les mettre en œuvre une fois ma to-do list prioritaire complétée mais… très vite, l’énergie n’était plus là. Les petites tâches que je trouvais inintéressantes me grignotaient chaque jour un peu plus l’espace mental. Elles me prenaient de plus en plus de temps, et je partais souvent le moral en berne de n’avoir pas pu avancer sur des choses qui me passionnaient davantage.


C’était d’autant plus frustrant que certaines personnes peuvent très bien s’accommoder d’une telle situation, et je les comprends ! Il y a quelque chose de satisfaisant à ne faire que des tâches sans enjeu, ça permet d’oublier le travail en sortant du bureau. Mais ce n’était pas mon cas. Ça ne l’a jamais été, et ça ne le sera probablement jamais. Je suis du camp des passionnés.


3/ Le désengagement nourri par la dissonance des valeurs

Pour d’autres personnes, le désengagement peut découler de la dissonance cognitive (LIEN VERS L’ARTICLE À VENIR) qu’elles ressentent au travail. Le fait que, tous les jours, au bureau, elles doivent faire l’effort de mettre leurs valeurs de côté pour une entreprise qui ne les partage pas. Ce n’était pas mon cas, enfin, c’est ce que je croyais, parce que mon entreprise n’apportait rien aux questions qui me taraudent. Elle n’était pas engagée sur ces questions, mais elle n’allait pas à l’encontre de mes idéaux non plus. Elle évoluait en parallèle, dans l’indifférence.


Au fil de mes lectures, j’ai fini par prendre conscience que j’étais, moi aussi, affectée par ce sentiment de dissonance. Dans le monde actuel, ne pas s’engager, ne pas prendre position pour agir, pour transformer, pour changer, cela revient à accepter l’ordre des choses. Donc quelque part, moi aussi je mettais mes valeurs et mes convictions en sourdine lorsque je passais la porte du bureau. Et moi aussi, comme tant d’autres j’imagine, j’étais, à la longue, affectée par cette situation de dissonance.

En France, 2,3 millions de salariés qui se disent désengagés le sont pour des questions sociales et environnementales.
75% des salariés désengagés du projet de leur entreprise ressentent ce conflit psychologique entre vie au travail et convictions personnelles.*


* Baromètre Imagreen Kantar 2022


4/ Les symptômes du désengagement

D’après mes recherches, le désengagement au travail est souvent caricaturé, en ressenti, comme une sorte de crise d’adolescence du salarié : on imagine des employés qui passent leur temps à râler, à contester les dires de leurs supérieurs hiérarchiques, rechignant à faire leur travail. Ce n’était pas mon cas.


Vu de l’extérieur, j’imagine plutôt quelqu’un comme moi, qui travaille plus lentement qu’avant, qui oublie parfois certaines tâches, qui passe beaucoup de temps à regarder dans le vide, qui lutte pour ne pas s’endormir, qui a souvent le nez sur son téléphone.


Oui, voilà : de l’extérieur, je donnais probablement l’impression d’avoir été, pardonnez-moi l’expression, une sacrée feignasse, mais croyez-moi : c’était tout le contraire. En réalité, je voulais tellement travailler sur des sujets qui m’intéressaient plus, dans des formats qui m’intéressaient plus, que c’était comme une double peine.


À l’intérieur… disons que je ne souhaite à personne de vivre cette sensation de vide 8h par jour, 5 jours sur 7. Une sensation de vide si forte et si pesante que j’ai peur de ne pas trouver les bons mots pour la décrire et pour me faire comprendre.


Je vais prendre une image qui parlera peut-être à d’autres.


Quand j’étais petite, mes parents m’emmenaient un peu partout pendant leurs errances le week-end, pour mon plus grand plaisir, sauf quand il s’agissait d’aller dans un magasin de bricolage. Un jour — je devais avoir 6 ou 7 ans… en tout cas suffisamment petite pour qu’on ne puisse pas me laisser seule à la maison un samedi après-midi — ils ont eu besoin de quelque chose de très précis dans une grande enseigne de brico-déco très populaire. Les employés ne trouvaient pas la pièce en question, mes parents non plus. Dehors il pleuvait des torrents, on devait être en novembre, et si, aujourd’hui, chaque magasin a au moins un endroit un peu fun pour les enfants, ce n’était pas encore le cas dans les années 90. Cet après-midi m’avait paru interminable : les deux heures les plus longues de ma vie. Tout m’y avait semblé beige et gris. Et puis, ça s’était terminé, mes parents avaient fini par trouver leur pièce très précise, et on était allé manger une pizza le soir : au final, une journée super.


Plus de 20 ans plus tard, j’avais été frappée par le souvenir de ce moment tellement banal et anodin… Mais cet ennui triste et morne, où tout est beige et gris… c’est au final ce qui se rapprochait le plus de ce que je ressentais sur les heures de bureau.


Petite cerise sur le gâteau, j’avais, pour couronner le tout, un mal de ventre très fort, tous les jours, dès le moment de quitter mon appartement le matin, et jusqu’à 18h20 environ le soir — quelques minutes avant de partir des locaux.


5/ Les conséquences du désengagement sur l’équilibre personnel

Le pire, au fond, c’était peut-être bien les conséquences de tout cela sur mon temps libre. Ces heures et ces jours restants, ceux en dehors du travail, ceux à la perspective desquels je me cramponnais pourtant si fort quand j’étais au bureau, n’avaient au final pas beaucoup de saveur. Le soir, je mettais presque une heure à décrocher un mot. J’étais agacée quand on me parlait, parce qu’ayant travaillé toute la journée en open space, j’avais la sensation d’avoir baigné dans le bruit pendant 8 heures.


Mes week-ends n’avaient plus l’air de rien : le vendredi soir, je retrouvais mes amis pour l’apéro, le plus tôt possible, et je buvais trop, inconsciemment, pour oublier toutes les frustrations de la semaine. Je passais donc le samedi à végéter sur mon fauteuil préféré, en mangeant sans discontinuer, et en regardant des programmes abrutissants sur mon ordinateur pour m’en remettre. Le lendemain, l’estomac allait mieux et les maux de tête avaient disparu, mais le lendemain, c’était déjà dimanche et la perspective d’y retourner le lundi et de m’y ennuyer à nouveau me sautait à la gorge dès le réveil et ne me lâchait plus.


J’avais perdu mon sens de l’humour et ma joie de vivre. J’étais éteinte, frustrée, irascible et en perte de confiance en moi — le faible niveau de mon salaire ne m’aidant pas à avoir confiance  en moi professionnellement. Tout cela affectait de plus en plus sérieusement mes relations avec mes proches. Mon désengagement me menait à toute allure vers une dépression. Il fallait agir : c’était devenu une urgence.


6/ Lorsqu’il est trop tard pour agir sur le désengagement

Avec mes supérieurs, pour lesquels j’ai toujours eu un profond respect, nous avons cherché ensemble une solution pour m’aider à retrouver l’envie, mais en vain : l’organisation de la boîte ne le permettait pas.


Alors, après un an de désengagement, j’ai fini par partir. J’avais quelques mois pour tenir financièrement donc je suis partie sans la perspective d’un autre job derrière.


Depuis, jour après jour, je reconstruis ma créativité. Je nourris le feu d’avoir envie de travailler à nouveau… et je suis à peu près sûre que ce ne sera pas dans le salariat traditionnel. J’ai récemment postulé dans une ONG. Je me dis que, même si on me demande les mêmes tâches que dans mon ancienne boîte, elles y auront peut-être un peu plus le goût de l’utile, au service des autres.


Si vous vous reconnaissez dans le témoignage de Sidonie, n’attendez plus pour agir !


Cet article a été écrit par imagreen .

Les articles populaires
Comment mettre sa carrière au vert ?
Un onboarding réussi, pour ne rien oublier
Comment faire germer une politique RSE dans son entreprise ?
5 compétences sous-côtées pour faire avancer la transition